1. Introduction
La procédure civile assure la réalisation des droits affirmés lorsqu’ils sont disputés. Mais la maîtrise des mécanismes procéduraux est loin d’être toujours évidente, si bien que la mise en œuvre de la procédure civile suscite comme telle de nombreuses réflexions. L’auteur de ces lignes propose quelques illustrations de ce phénomène dans la jurisprudence récente du Tribunal fédéral.
2. Conciliation
2.1. Autorisation de procéder, parties et objet du litige
La requête de conciliation fixe les parties au litige et son objet. Il faut y être attentif et bien préciser contre qui les conclusions sont prises, puisque la validité de la suite de la procédure en dépend. Ainsi, la demande dirigée contre des personnes non citées dans la requête de conciliation sera irrecevable, faute de respect d’une condition de recevabilité (4A_226/2016 du 25 juillet 2016; 4A_482/2015 c. 2.2, du 7 janvier 2016, RSPC 2016 31). Il en ira de même, ce qui coule moins de source, d’une demande formée en procédure ordinaire, alors que les conclusions prises devant l’autorité de conciliation ne dépassaient pas 30 000 fr. Cela vaut alors même que l’autorité de conciliation aurait été la même si la requête de conciliation avait porté sur un montant dépassant 30 000 fr. En effet, si les conclusions peuvent être modifiées lorsque la condition de connexité est remplie2 devant l’autorité de conciliation (pour autant que celle-ci demeure compétente), il en va différemment dès lors que l’autorisation de procéder a été délivrée. Dès cet instant, les conditions de l’art. 227 CPC pour la modification des conclusions doivent être remplies: la prétention nouvelle ou modifiée, qui doit présenter un lien de connexité avec les conclusions précédentes (let. a) ou à défaut être admise aux débats par l’adversaire (let. b), doit relever de la même procédure (TF 5A_588/2015 c. 4.3.1, du 9 février 2016). On notera que si, par hypothèse, l’autorisation de procéder a été délivrée par un juge qui n’était pas compétent ratione valoris, mais que, suite à la réduction des conclusions au fond, avant le dépôt de la réponse, il le devient rétrospectivement, l’autorisation de procéder est alors valable (4A_509/2015 du 11 février 2016, RSPC 2016 304).
2.2. Sanction en cas d’absence à l’audience
L’ATF 141 III 265 relevait que, dans la mesure où l’art. 206 CPC ne traite que des suites procédurales du défaut d’une partie et non des conséquences disciplinaires d’une telle absence, une amende d’ordre fondée sur l’art. 128 CPC demeurait possible3. L’arrêt précisait que la partie défaillante devait avoir été menacée (en principe dans la convocation) d’une telle sanction et que celle-ci n’entrait en ligne de compte que si le défaut perturbait le déroulement de la procédure ou en cas de mauvaise foi ou de comportement téméraire. Dans un arrêt non publié TF 4A_500/2016 du 9 décembre 2016, le Tribunal fédéral pose des conditions strictes à l’amende d’ordre. Le défaut injustifié à l’audience de conciliation et la violation du devoir de comparaître en personne ne peuvent, comme tels, être qualifiés de comportement perturbant le déroulement de la procédure. En particulier, le fait qu’un défendeur ait attendu la veille de l’audience pour informer le juge qu’il ne se présenterait pas, plutôt que de l’annoncer à réception de la citation à comparaître, ne suffit pas à admettre un comportement perturbant l’audience.
3. Tribunal de commerce et procédure simplifiée
Quand saisir le tribunal de commerce ou le tribunal ordinaire? La question a donné lieu à une abondante jurisprudence, évoquée l’an passé dans ces colonnes4. Un nouvel arrêt répond à la question de savoir quel tribunal doit être saisi lorsque l’exigence du recours en matière civile est remplie (art. 6 al. 2 let. b CPC), mais que la procédure simplifiée s’applique, et non pas en raison de la matière, comme c’est le cas dans le domaine du bail (le tribunal de commerce n’est alors pas compétent selon l’ATF 139 III 457 c. 3, 4.4.3.1−4.4.3.3, RSPC 2014 91). Le Tribunal fédéral précise que sa jurisprudence vaut chaque fois que la procédure simplifiée s’applique, pour quelque motif que ce soit (TF 4A_648/2016 du 27 février 2017, destiné à la publication). Dès lors, une demande portant sur une valeur litigieuse de 30 000 fr., qui remplit donc la condition du recours en matière civile, relève de la compétence des tribunaux ordinaires, la procédure simplifiée ne s’appliquant pas devant le tribunal de commerce (art. 243 al. 3 CPC). En d’autres termes, une demande en paiement entre commerçants portant sur une somme de 30 000 fr. est soumise aux tribunaux ordinaires, alors qu’un procès entre ces mêmes personnes portant sur une somme de 31 000 fr. relève du tribunal de commerce. Une réduction ultérieure ne remet pas en cause sa compétence (art. 227 al. 3 CPC). Le Tribunal fédéral a-t-il pris en compte le fait qu’un tel argument, qui ne tient pas compte du texte et de la systématique de la loi, pourrait signifier que l’instance cantonale unique n’est pas compétente pour les litiges pour lesquels la procédure simplifiée s’applique? A notre avis, l’art. 243 al. 3 CPC porte uniquement sur le champ d’application de la procédure simplifiée. Celle-ci ne s’applique pas devant le tribunal de commerce et l’instance cantonale unique. Cet alinéa ne remet aucunement en cause la compétence de ces Cours, qui dépend des art. 5, 6 et 8 du CPC.
4. Appel en cause, conclusions chiffrées et frais
Trois enfants âgés d’environ 7 et 10 ans jouent avec un pistolet paintball. L’un deux reçoit un projectile et perd pratiquement l’usage d’un œil. L’enfant fait valoir des prétentions à l’égard de l’enfant tireur et de la mère de l’un des enfants, à qui avait été confié l’enfant à l’origine du tir. Celle-ci appelle en cause la mère de la victime, qu’elle juge elle-même coresponsable, si un défaut devait lui être reproché. Elle prend des conclusions récursoires non chiffrées à son encontre «équivalent à la moitié de la somme à laquelle X. aurait été condamnée dans la procédure principale». Comme en l’espèce la demande principale était chiffrée, le Tribunal fédéral retient que la dénonçante ne pouvait tirer aucun argument des conclusions de la demande principale pour justifier ses conclusions non chiffrées. Par ailleurs, lorsque la preuve à administrer n’est pas nécessaire pour établir, indépendamment de l’issue de la procédure principale, la prétention exercée contre la dénoncée, puisqu’elle concerne précisément l’objet de la demande principale, il ne s’agit pas d’un cas où l’appel en cause lui-même remplit les conditions pour une action non chiffrée. Dès lors, l’appel en cause est irrecevable (TF 4A_164/2016 du 18 octobre 2016, RSPC 2017 121). Cet arrêt reprend les principes posés dans les considérants 7.1 et 7.2 de l’ATF 142 III 102. L’irrecevabilité des conclusions est immédiate, sans possibilité de guérison préalable. La règle vaut apparemment pour la demande comme pour l’appel en cause. Cette approche est discutable: elle frappe d’irrecevabilité immédiate une demande pour un tel motif en niant qu’il s’agisse d’un vice de forme réparable au sens de l’art. 132 CPC, alors que, dans ce cas, l’art. 63 CPC (qui permet de redéposer la demande formée dans la mauvaise procédure en sauvegardant l’instance) ne s’applique pas (ATF 141 III 481 c. 3.2.4, RSPC 2016 5). Ainsi, une demande non chiffrée qui aurait dû l’être et qui est donc déclarée irrecevable ne permet pas de sauvegarder les délais, même de prescription, puisque, selon la jurisprudence, une demande manquant de formalité ou déposée auprès d’un tribunal incompétent n’interrompt pas la prescription (ATF 130 III 202, c. 3.2, 3.3.2; 85 II 504, c. 3a).
Attention: l’appel en cause n’est pas sans risque en matière de frais. Celui qui appelle en cause sait que, dans la mesure où les conclusions prises contre l’appelé suppose sa propre condamnation, celles-ci tombent si l’appelant en cause est victorieux dans la demande principale. Dans un tel cas, cette victoire signifiera nécessairement la condamnation aux frais judiciaires et dépens de l’appel en cause en vertu du principe de la succombance (art. 106 al. 1 CPC), l’action récursoire étant rejetée. Comme il doit compter avec cette hypothèse, l’appelant en cause ne peut pas se prévaloir de l’art. 107 al. 1 let. b ou let. e CPC (TF 4A_271/2016 et 4A_291/2016 du 16 janvier 2017, destinés à la publication, RSPC 2017 125). Une raison de plus de bien choisir entre l’appel en cause (art. 81 CPC) et la dénonciation d’instance (art. 78 CPC).
5. Action partielle
Lorsqu’une prétention est divisible, une action partielle est possible (art. 86 CPC, expression du principe de disposition, art. 58 al. 1 CPC). Elle l’est évidemment lorsque le demandeur dispose de plusieurs prétentions contre le même défendeur (action partielle improprement dite). Afin de bénéficier d’une procédure moins chère et plus rapide, un plaideur peut être tenté de limiter ses prétentions dans un premier temps, quitte à agir à nouveau en cas de victoire dans le premier procès. Lorsqu’il n’est pas sûr d’obtenir gain de cause sur la base d’une certaine prétention, le plaideur peut les faire valoir ensemble (cumul objectif d’actions), mais en limitant ses conclusions à un certain montant, sans renoncer au solde. Cependant, dans ce cas, ses conclusions doivent être suffisamment individualisées pour permettre au juge de connaître l’ordre ou la mesure dans lequel les prétentions doivent être prises en compte. Le Tribunal fédéral retient ainsi qu’en cas de conclusions limitées à 30’000 fr. pour des bonus de trois années portant chacun sur des sommes dépassant 100 000 fr., le demandeur doit indiquer dans quel ordre les bonus qu’il invoque doivent être pris en compte. A défaut les conclusions sont irrecevables (ATF 142 III 683, RSPC 2017 26). Dans ce cas, le juge n’a apparemment pas à rendre attentive la partie à la problématique avant d’écarter la demande.
6. Qualité pour défendre de la collec-tivité publique à l’action en modifica-tion des contributions d’entretien de l’enfant
Contre qui le débiteur de l’entretien doit-il agir lorsqu’il entend obtenir une diminution ou une suppression de la contribution en faveur de l’enfant, au vu de l’évolution de sa situation? Si la contribution a été fixée dans un jugement de divorce et que l’enfant est mineur, le débiteur de l’entretien agira contre son ex-conjoint par la voie de la procédure en modification du jugement de divorce. Si l’entretien concerne un enfant de parents non mariés ou un enfant majeur, le débiteur agira contre cet enfant, le cas échéant par le biais de son représentant légal. Qu’en est-il si les contributions sont avancées par la collectivité publique? Selon un arrêt 5A_399/2016-5A_400/2016 du 6 mars 2017, destiné à la publication, la collectivité publique qui assume (partiellement) l’entretien de l’enfant mineur a qualité pour agir dans le cadre d’une procédure en modification (réduction ou suppression) de la contribution d’entretien. En effet, la prétention à la contribution d’entretien passe avec tous les droits qui lui sont rattachés à la collectivité publique lorsque celle-ci assume l’entretien de l’enfant (art. 289 al. 2 CC). Selon le Tribunal fédéral, la cession légale englobe également les prétentions de contributions d’entretien futures dont il est certain qu’elles devront être avancées par la collectivité publique (c. 6.3.2 et 6.3.3 ; ATF 137 III 193 c. 3.8). Le débiteur de l’entretien doit également attraire la collectivité publique subrogée aux droits du créancier d’entretien, puisque celle-là va continuer à verser des avances sur contributions lors de la procédure et qu’il n’est pas admissible qu’elle se retrouve liée par un prononcé supprimant les pensions au dépôt de la demande, alors qu’elle n’a pas été attraite à la procédure. Dès lors, si la demande n’est formée que contre l’enfant, elle devra nécessairement être rejetée pour la période précédant le prononcé définitif. Le Tribunal fédéral expose cependant dans son arrêt diverses hypothèses dans lesquelles les intérêts de la collectivité publique pourraient entrer en conflit avec ceux du créancier de l’entretien (c. 6.3.4 et 6.3.5), si bien que la marge de manœuvre de celle-ci comme défenderesse ne sera pas toujours complète5. y